Le trésor des églises se divisait en deux parties : le trésor des chartes et des titres et le trésor renfermant l’orfèvrerie, les reliques et la paramentique, celui que nous appellerons le Trésor. À Amiens, la responsabilité du Trésor relevait du chapitre cathédral qui désignait comme trésorier l’évêque. Celui-ci nommait un sous-trésorier pour remplir les tâches qui lui incombaient. À chaque changement d’évêque, la théorie voulait que fût dressé un inventaire complet des pièces d’orfèvrerie, des reliques et des textiles précieux le composant. Aujourd’hui dix inventaires sont conservés aux Archives départementales de la Somme dans le fonds du chapitre cathédral (1347, 1419, 1535, 1551, 1667, 1676, 1687, 1689, 1692 et 1709). Rédigés en latin pour les plus anciens, ils nous permettent de saisir l’immensité des pièces jadis conservées et l’évolution du nombre de celles-ci. C’est que, loin d’être figé, le Trésor voit s’accroître ou diminuer le nombre de ses pièces : on perçoit les dons faits au fil des ans, les fontes rendues nécessaires pour subvenir à des besoins urgents en numéraire, le renouvellement de certains reliquaires. De toutes ces œuvres, la Révolution ne laissa rien subsister, à l’exception notable des reliques et de cinq ou six pièces d’orfèvrerie. Ces inventaires sont donc aujourd’hui l’un des seuls moyens d’appréhender ces œuvres d’orfèvreries et de textiles qui constituèrent un des plus importants trésors d’église de France.

L'inventaire de 1347. Archives départementales de la Somme, 4 G 1134.

L’inventaire de 1347

L’inventaire dressé le 11 mars 1347 (1348, n.st.) est le plus ancien que nous conservions. Il fut rédigé en latin sur un petit cahier in-folio en vélin de 8 feuilles, réglé à la pointe sèche, par Hugues de Montreuil, sous-trésorier, à la demande de l’évêque d’Amiens Jean de Cherchemont (évêque de 1325 à 1373), alors trésorier du chapitre. Cet inventaire est divisé en trois chapitres : le premier est consacré aux reliques, reliquaires et à l’orfèvrerie en général ; le second aux ouvrages de la bibliothèque ; le dernier aux ornements en soie et à la paramentique. La première pièce inventoriée est le chef de saint Jean Baptiste ; suivent les reliques majeures de la cathédrale : le doigt de saint Thomas apôtre, le chef et le bras de saint Firmin martyr, le bras de saint Honoré, l’anneau de la sainte Vierge, etc. Les matériaux constituant les reliquaires sont généralement précisés : or, argent doré, argent, cuivre, cristal. Les objets sont classés par catégorie, depuis les reliquaires jusqu’aux encensoirs, en passant par les croix d’autel, les calices et patènes, les ciboires, les statues en argent, les reliures orfévrées des livres liturgiques, les candélabres et les burettes. Le poids de métal précieux est souvent indiqué en marc, once et esterlin. L’inventaire des livres précise le nombre de missels, d’évangéliaires, de livres de chant (graduels, tropaires, antiphonaires), de psautiers, martyrologes et ordinaires. Quant au vestiaire liturgique, il est riche d’ornements dont les noms des prestigieux donateurs sont précisés (Mathieu le Rouge des Ursins, chancelier du chapitre (1260-1305) et cardinal (1262), Guillaume de Mâcon, évêque d’Amiens (1278-1308). Les ornements complets (vestimenta) sont désignés par leur couleur liturgique (blanc, doré, noir, vert, rouge, violet). Les pièces du vestiaire prises à l’unité sont précisées : chasubles, dalmatiques, aubes parées, étoles, manipules, amicts, pales, chapes, courtines.

L'inventaire de 1419. Archives départementales de la Somme, 4 G 1135.

L’inventaire de 1419

L’inventaire de 1419 ne porte pas de date. Il fut très probablement établi au début de l’épiscopat de Jean de Harcourt (évêque de 1418-1433). Rédigé en latin sur un cahier petit in-folio en vélin, il comprend 32 feuillets, les pages y sont réglées à la pointe sèche. La répartition des chapitres est légèrement différente de celle de l’inventaire de 1347 : sont d’abord mentionnés les reliques principales et leurs reliquaires (avec des descriptions bien plus précises qu’en 1347) suivis de l’orfèvrerie. Un chapitre entier est consacré aux châsses reliquaires exposées dans la grande tribune aux reliques du sanctuaire, derrière le maître-autel. Aucune de celles-ci ne figuraient sur l’inventaire de 1347 ; sont décrites par ordre d’importance décroissantes les châsses, en or, de saint Firmin martyr, et, en argent doré, des saints Fuscien, Victoric et Gentien, des saints Ache et Acheul, de saint Firmin le Confesseur, de saint Honoré, de saint Domice, des saints Warlus et Lxor et de sainte Ulphe. Suit l’inventaire du trésor de la chapelle du menton de saint Jacques (chapelle établie sous le jubé). L’inventaire des livres et des ornements liturgiques reprend celui de 1347, avec de longs développements et une classification renforcée.

Reliquaire de la face de saint Jean Baptiste

La description du reliquaire de la face de saint Jean nous permet d’appréhender le reliquaire tel qu’il se présentait à la fin du règne de Charles VI.

« In primis habemus faciem beati Johannis Baptiste incastratam in pelvi argentea munita per ora lapidibus preciosis, videlicet saphiris, smaragdis, granatis, thopasionibus et pellis, et in summitate faciei subtus cristallum sunt lapides incastrati saphiri et smaragdi et quinque grosse pelle.

Item super dictam faciem est facies hominis de argento in quo sunt multi anuli infixi de auro et monilia, sunt etiam alii plures lapides preciosi inter quos est unus grossus saphirus in fronte dicti faciei, et in dextera parte faciei ipsius est unus camaheu cum facie hominis ligata ad modum Sarracenorum.

Item est unum vas argenteum de octo quadris cum coopertorio suo habens hysmata cum historia decollationis ejusdem beati Johannis Baptiste. »

Traduction

« En premier, nous avons la face du bienheureux Jean Baptiste, enchâssée dans un plat d’argent orné sur le bord de pierres précieuses, à savoir des saphirs, des émeraudes, des grenats, des topazes et des perles, et au sommet de la face, sous le cristal, sont des pierre enchâssées, saphir et émeraude et cinq grosses perles.

Item, sur cette dite face, il y a la face d’un homme en argent, sur laquelle sont attachés de nombreux anneaux en or, et aussi des petites pièces ainsi que plusieurs pierres précieuses parmi lesquelles il est un seul très gros saphir sur le front de ladite face, et sur la partie droite de cette même face il y a un gros camaïeu (camée) avec une face d’homme liée à la manière des Sarrasins.

Item est un vase en argent à huit côtés avec son petit couvercle ayant des émaux avec l’histoire de la décollation du même bienheureux Jean Baptiste. »